Castillon, juillet 1453, la chevalerie française, faisant oublier l’humiliation de la Saint Crépin, boute les Anglais hors du royaume de France aux cris de Montjoie ! Saint-Denis ! Superbe tableau. Aussi fort que Charles Martel à Poitiers ou Jeanne d’Arc à Orléans. Une image d’Epinal des plus séduisantes, apte à éveiller les pulsions patriotiques des adeptes de la marche au pas de l’oie. Cependant, s’il est vrai que la victoire française sur les contingents gascons et anglais menés par le brillantissime Talbot marque un tournant décisif de la guerre de cent ans, il convient, par respect de l’Histoire, de nuancer les tenants et les aboutissants de ce fait d’armes. N’en déplaise à certains.
Tout d’abord ; quid du royaume de France ? Si, depuis Bouvines, en 1214, les historiens s’accordent à attribuer aux habitants de l’Hexagone une certaine identité nationale (cela reste très discutable… et discuté), la France, en ce milieu du XV° siècle, reste un agglomérat batailleur de domaines plus ou moins inféodés aux rois de France et d’Angleterre, avec des seigneurs fortement attachés à leurs prérogatives héritées des Mérovingiens et qui n’hésitent pas à changer de camp au gré de leurs intérêts immédiats. La paysannerie, elle, s’en fout comme de sa première chausse. La guerre de cent ans est donc, en partie, les conséquences d’une instabilité entretenue par les barons et les noblesses de Gascogne, de Normandie, de Bretagne ou de Bourgogne et qui, souvent, avaient accès à plus de ressources monétaires et humaines que le roi de France.
Ce peu réjouissant mais réaliste état des lieux, Thierry Gloris, scénariste de ce deuxième opus de la série Champs d’Honneur, est l’une des clefs de voûte de cette bande dessinée qui se pose comme un regard neutre sur les événements qui ont amené Français et Anglais à s’entretuer sur les terres d’un petit domaine d’Aquitaine. Castillon fait suite à Valmy. Je vous avais parlé il y a quelques temps du premier tome. Si l’album ne m’avait pas déplu, mon billet n’avait pas fait l’unanimité, certaines de mes connaissances mettant en avant (à raison, je l’admets volontiers) la présence de nombreux anachronismes et incohérences, que j’attribuais, avec magnanimité, à l’usage d’un symbolisme peut-être malvenu. Je sais, je suis trop bon. Je ne suis pas sûr que Castillon les fasse changer d’avis.
Car Thierry Gloris, peut-être fan de G.R.R. Martin, a décidé de conserver la même méthode, qui fait appel aux barbarismes et aux citations apocryphes (« le changement, c’est maintenant ! ») pour attirer le chaland. Là encore, la rigueur historique n’est pas de mise et, à la manière de ces émissions de vulgarisation télévisées, le scénariste n’hésite pas à écorner l’Histoire pour entraîner le lecteur sur les pistes de l’Histoire. Si la méthode peut être discutable, du moins ramenée dans le cadre universitaire, force est d’admettre qu’elle est efficace dans le fait qu’elle permet de donner du relief à des personnages dont on ne sait finalement pas grand-chose. Certains choix sont même étonnants, comme quand Thierry Gloris propose un portrait de Charles VII très éloigné de l’habituel cliché présentant un roi faible, pleurant sur le sort de Jeanne d’Arc. Ici, il est bien différent. Bref, Castillon sort un peu des sentiers battus.
Pour ce qui est du récit, Thierry Gloris est parvenu à offrir aux lecteurs une histoire accrocheuse, forte en passages épiques et en séquences dramatiques. Peu de verbiage, beaucoup d’action. Ainsi, le traitement de la bataille de Castillon couvre carrément dix planches. Le scénariste a fait son choix, qui est celui du sensationnel, et Castillon est un récit d’Histoire militaire, souvent appréhendé à l’échelle tactique. Il est vrai que la lutte pour le contrôle de la Gascogne est riche en revirements politiques, en sièges et en combats, une abondance de matériaux qui facilite sa démarche. Restait à faire en sorte que l’ensemble se tienne. A mon avis, il y est parvenu, en réussissant à construire un récit logique.
Le scénariste est bien aidé par le coup de crayon très dynamique de Gabriele Parma qui, s’appuyant sur un découpage très tonique, nous offre de belles scènes de bataille et quelques passages dialogués mettant de belle manière des personnages au caractère bien trempé. J’aime bien ce dessinateur – je suis avec intérêt les aventures graphiques de Marcas, maître franc-maçon – et, une nouvelle fois, il ne me déçoit pas réussissant à s’approprier un style académique pour faire ressortir sa patte. Par contre, petit bémol concernant la colorisation, vraiment très fade à mon goût.
Bref, Castillon, ce n’est pas parfait, mais c’est pas mal du tout.
Ma note : 3,5/5
Champs d’Honneur – Castillon
Scénario : Thierry Gloris
Dessin : Gabriele Parma
Couleurs : Dimitri Fogolin
Couverture : Ugo Pinson
Paru aux éditions Delcourt (aout 2016)
48 pages