Après le succès mondial de 300, le film, il était inévitable que l’adaptation cinématographique de la nouvelle graphique de Frank Miller allait se voir honorer, un jour ou l’autre, d’une séquelle. Mais depuis 2006, force est de dire que de l’eau est passée sous les ponts. Avec pour principale conséquence de rendre chose commune le « révolutionnaire style visuel» imposé à l’époque par Zack Snyder (une révélation qui évoque, pour moi, le même phénomène que lors de la sortie d’Highlander, avec la découverte de son style « clip », aujourd’hui bien désuet). Aussi, pour la Warner et Legendary Pictures, le risque de voir cette suite apparaître comme un produit kitch était bien réel (plus un produit est marqué, plus il se démode vite), ce qui ne les a pas empêché d’investir 110 millions de dollars sur ce projet, une nouvelle fois essentiellement généré en images numériques.
Pour l’occasion, Zack Snyder, parti amener sa pierre, à savoir sa conception toute personnelle du cinéma (pour le meilleur et pour le pire), dans les autres productions consacrées aux adaptations de comic books, est remplacé par Nuam Murro, un illustre inconnu ayant pour seul bagage quelques documentaires pour HBO. Mais bon, pas bien grave, étant donné que tout ce que l’on demandait à ce « réalisateur » était de construire un produit similaire à 300, apte à attiser la curiosité des fans du film originel, qui forment à eux seuls une manne financière non négligeable. Snyder ayant signé le scénario (toujours d’après un comic de Miller), il fallait bien au générique un nom autre qu’Alan Smithee.
Donc, en conséquence, 300 : La naissance d’un empire, affiche les mêmes qualités et les mêmes défauts que le film de Zack Snyder, l’aspect réchauffé en sus. On passe des sables des Thermopyles aux flots de Salamine, les trières remplacent les éléphants, et les hoplites sont toujours les plus forts (d’après Miller, l’Histoire se trompe, Darius n’est pas mort dans son lit de maladie mais d’une blessure mortelle infligée par Thémistocle). Ils sont même super habiles au tir à l’arc. Mélange de cinématiques de jeu vidéo et de diaporamas rendant hommage aux toiles de Frazetta et autres Vallejo, le métrage de Nuam Murro affiche la même beauté froide que son modèle. Un déroulé de magnifiques images, mais une œuvre sans âme. Corps humains magnifiés, explosions d’hémoglobine à travers des affrontements ou violence rime avec maniérisme esthétique, mais aussi dialogues débiles, situations stupides (Darius qui est rapatrié avec sa flèche planté dans la poitrine !), personnages manichéens aux physiques de chippendales et, plus inquiétant, positionnements politiques parfois très douteux. Et le retour de Xerxès sous les traits d’un transsexuel de club SM !
Alors, c’est sûr, l’amateur lobotomisé de jeux vidéo décérébrés (je vais me faire des amis, là) compose la principale audience ciblée par la production. Eux, peut-être, seront satisfaits de ce spectacle tape-à-l’œil (et très spectaculaire, c’est vrai) créé par des techniciens couchant leurs fantasmes sur leurs logiciels de créations graphiques. Certains lecteurs de comic books en recherche de références geeks pourront, aussi, éventuellement trouver dans cette longue démo graphique super chiadée et bourrée d’effets ralentis (je serais curieux de savoir combien durerait le film diffusé en temps réel) un quelconque intérêt. Enfin, visionné d’un œil distrait, l’esprit occupé à autre chose, 300 : La naissance d’un empire peut composer un respectable environnement visuel (les plans sur les combats maritimes composent de superbes tableaux vivants) et musical (mais pas trop fort, le son, hein ?!).
Par contre, pour l’amateur d’Histoire militaire, et d’Histoire tout court, ce métrage ne mérite qu’e deux seuls qualificatifs : nawak et… fourberie. Le pire n’est pas qu’il récupère l’imagerie épique que l’on se fait de la période, ni qu’il transforme le citoyen grec (après le Spartiate, ici, c’est l’Athénien) en une sorte de défenseur de la liberté et de l’esprit patriote (dans le sens moderne du terme). A la limite, le cinéma traditionnel, qu’il soit de Cinecittà ou d’Hollywood, n’est pas non plus exempt de ce reproche. Non, le plus gênant, c’est qu’il use de véritables faits historiques pour construire une mythologie pouvant être appréhendé (et assimilé) par un public candide comme des épisodes de notre Histoire et, comme à l’époque des westerns classiques (avec ses méchants Indiens), il abuse d’un manichéisme racial primaire et gênant. De plus, parfois, le métrage n’est même pas clair dans ses positionnements, comme quand il cite l’oracle de Delphes, mais de manière incomplète et mal identifiée. Difficile, dans ces conditions, de discerner les faits issus des récits des Guerres Médiques et les purs délires de scénaristes.
Et puis, pauvre, pauvre Artémise ! La célèbre reine d’Halicarnasse est transformée ici en une folle furieuse vouant une haine terrible à des Grecs qui l’ont humiliée. Un portrait totalement opposé à celui tracé par ses contemporains, puisqu’au contraire, cette femme avisée était un stratège prudent, d’excellent conseil, et très apprécié du roi Xerxès (même Hérodote en a dit du bien, c’est dire…). Petite compensation, la performance d’Eva Green, plutôt convaincante dans ce rôle de femme forte (et cinglée). Elle composait le seul personnage convainquant de la mini-série Camelot (elle y incarne Morgane) et prouve ici une nouvelle fois qu’on peut lui confier des rôles de « dominante ». Le « face-à-face » extrêmement sexué qu’elle partage avec Thémistocle est d’ailleurs le passage le plus fort du film.
Le reste du casting est par ailleurs assez transparent. Il est vrai que le cinéaste met plus en valeur les ceintures abdominales des comédiens (retouchés en numérique, force est de le rappeler) que leurs performances dramatiques, peu avantagées, c’est vrai, par des dialogues débiles et des situations peu crédibles. Notons toutefois que Sullivan Stapleton (Thémistocle) est nettement moins charismatiques que Gerard Butler (Léonidas), que Rodrigo Santoro (Xerxès) semble, sous la caméra moins inspirée de Nuam Murro, avoir perdu une grande partie de sa stature et que Lena Headey (la reine Gorgo) a eu du mal à oublier temporairement son personnage de Cersei Lannister.
Ma côte : 2/5
300 : naissance d’un empire (USA – 2014)
Titre original : 300 : Rise of an Empire
Réalisation : Noam Muro
Scénario : Zack Snyder, Kurt Johnstad, d’après la nouvelle graphique Xerxès, de Frank Miller
Musique de Junkie XL
Avec : Sullivan Stappleton (thémistocle), Eva Green (Artémise), Lena Headey (reine Gorgo), Hans Matheson (Aeskylos), Callan Mulvey (Scyllias), Rodrigo Santoro (Xerxès)