A l’occasion de ce troisième hors-série, la rédaction de Guerres & Histoire se lance dans un exercice aussi périlleux qu’inattendu. En effet, si tout historien se plait à verser parfois, lors de discussions entre connaisseurs au sein d’un cercle intime ou académique, dans l’uchronie, force est d’admettre qu’en France (cela est moins vrai dans les pays anglo-saxons) ce genre, pour être classé dans registre du fantastique et de la science-fiction (peu considéré dans l’hexagone), n’est guère apprécié du lectorat traditionnel. Pourtant, quand elle est pratiquée par un spécialiste maîtrisant le sujet (impossible de construire quelque chose de solide sur une base fragile) et ses objectifs  (tout est une histoire de dosage), l’uchronie peut ouvrir de nouveaux angles de vue sur un tableau historique mille fois étudié, et parfois révéler de nouvelles pistes d’investigation. Comme le prouve ici l’équipe de Jean Lopez.

Et si… ça s’était passé autrement ? C’est vingt scénarios « uchroniques » sur 130 pages, qui introduisent le fameux « what if » anglo-saxon. Certains textes poussent l’expérience assez loin (Et si… Les Américains avaient dû débarquer au Japon ?), d’autres utilisent l’outil pour nous rejouer un moment d’histoire sans trop s’engager dans le processus de réflexion (Et si… Venise avait sauvé Constantinople ?). A chacun sa sensibilité envers le genre. Pour ce qui des périodes traitées, il y en a pour tous les goûts avec deux sujets antiques, un sujet « âges sombres », un médiéval, un Renaissance, un Grand Siècle, deux sujets sur les guerres napoléoniennes, un sur la guerre de sécession, un sur la guerre de 1870, un sur la première guerre mondiale, un sur la guerre du Kippour et cinq pour la seconde guerre mondiale ! Certains sont souvent rencontrés dans le domaine de la culture SF (Et si… Le débarquement en Normandie avait échoué?), d’autres sont vraiment originaux (Et si… Louis XIV avait gagné à Blenheim ?). Dommage, ma période favorite, les Lumières, n’est pas parcourue.

La plupart des articles ont pour thème un « tournant » de l’Histoire, une bataille ou un événement majeur. D’autres voient plus large avec une réflexion d’ordre général (stratégique, opérationnelle ou politique) comme l’article sur l’engagement américain en 1917. L’un des principaux points communs entre ces textes est qu’ils sont tous d’excellente qualité, forts d’une solide argumentation, aptes à satisfaire initiés et simples curieux et surtout… ouvrir les discussions entre les passionnés d’histoire militaire que nous sommes.

Comme G&H n’a pas froid aux yeux, en plus de nous « refaire » l’Histoire, ce numéro hors-série se lance également dans le comparatif. Comparaison n’est pas raison, certes, mais pour G&H la tentation fut trop grande pour y résister. Si l’exercice est pratiqué depuis longtemps au sein du magazine (on compare telle ou telle arme, etc.), ici l’on va plus loin avec l’article Franc contre samouraï, un duel chevaleresque, de Julien Peltier (spécialiste de l’histoire médiévale japonaise). Un article très intéressant, apte à ravir tous les wargamers et les pratiquants du jeu d’Histoire à figurines (on le sait, ce type de débat anime chaque club). Même démarche, mais encore plus osée, avec l’entrée en scène du char Leclerc, durant la campagne de France mai 1940 ! Apparition spectaculaire et dévastatrice, qui nous amène à réfléchir sur l’impact réel d’une brutale évolution technologique sur le déroulement d’une guerre. Peut-elle renverser une situation compromise ? Cet article peut être mis en parallèle avec celui de Benoist Bihan qui s’interroge sur l’existence réelle de la bataille décisive.

Enfin, un article plein de sagesse de Daniel Feldman qui nous donne six conseils pour bien réussir son uchronie militaire. Six conseils avisés qui amènent une unique conclusion : le plus important est de savoir de quoi l’on parle. Et cela ne s’applique pas qu’à l’uchronie, aurais-je tendance à rajouter.

Un régal.

 

 

 

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