DE LA FIN DE LA GUERRE DE SEPT ANS A LA GUERRE DE SÉCESSION (1762-1860)
LES PLAINES DU SUD
LA SOUMISSION DES APACHES LIPAN
L’année 1762 marque la fin de la guerre de sept ans. Avec le traité de Fontainebleau, la France cède à l’Espagne toute la rive occidentale du Mississippi, un acte qui élimine désormais toute menace française sur la Nouvelle-Espagne. Un soulagement pour le gouvernement espagnol établi à Mexico qui peut désormais consacrer toute son énergie à sécuriser sa frontière nord, qui s’ouvre sur les grandes plaines Indiennes. La tâche n’est pas facile tant sont agitées les tribus établies au nord du Rio Grande. Pour exemple, en mars 1763, les apaches Lipan effectuent un raid sur San Fernando de Austria, dans la province densément peuplée de Coahuila. Cinq colons sont tués et quarante chevaux volés. Le gouvernement espagnol prend conscience que, pour contrer la recrudescence des actes de ce type, c’est tout le système défensif des frontières qui doit être revu. C’est le respecté Cayetano Pignatelli, marquis de Rubí – l’homme qui vient de réorganiser l’armée coloniale espagnole aux Amériques – qui se voit chargé de cette mission en 1766 par Joaquin de Montserrat, marquis de Cruillas, récemment nommé vice-roi de Nouvelle-Espagne par Charles III. Accompagné des ingénieurs royaux Nicolas de La Fora et Joseph de Urutia, le marquis de Rubí, au cours d’un voyage de deux ans, inspecte et cartographie toutes les zones de colonisation espagnole situées au nord du Rio Grande, mesure avec précision les besoins et les moyens. Il met en ordre son projet : une nouvelle ligne de défense, composée de quinze presidios distants entre eux de 100 kilomètres, devra être construite le long du Rio Grande, sur la longueur du 30ème parallèle, jusqu’au Pacifique. Au-delà de cette frontière, seuls les presidio de Santa Fé, San Antonio et Las Bahia devront être conservés – même le fameux presidio de San Luis de las Amarillas, sur la san Saba, devra être abandonné. Quant aux territoires situés à l’est du Texas, il est convenu qu’ils tombent sous la tutelle de l’administration espagnole de la Nouvelle-Orléans. A son retour à Mexico, au début de l’année 1768, il fait également part de son peu d’estime pour les indiens en conseillant au vice-roi l’organisation d’une expédition ayant pour objectif l’extermination des apaches Lipan.
Bien que la situation s’améliore avec la mise en place de ce nouveau dispositif défensif, le calme ne revient pas totalement car nombre de tribus apaches ont refusé de se soumettre et effectuent de nombreux raids des deux côtés du Rio Grande. En conséquence, en 1781, le colonel Juan de Uglade, gouverneur de Coahuila, se lance dans une nouvelle série de campagnes contre les Lipan et les Mescalero, une autre tribu apache. En 1789, il traverse le Rio Grande, entre au Texas et installe son quartier général dans le vieux fort abandonné sur la San Saba, qu’il réaménage provisoirement. Son objectif est de rayonner autour de ce point avec l’espoir de tomber sur des indiens en quête de raids. Le 9 janvier 1790, ses recherches aboutissent quand il surprend des apaches Lipan en campement sur les berges de la rivière Sabinal, au sud-ouest de San Antonio. L’attaque est une réussite ; quarante guerriers sont tués, de nombreux femmes et enfants sont capturés, et un important troupeau de chevaux est récupéré – c’est en l’honneur de cette action d’éclat qu’un canyon tout proche de ce site a été baptisé Cañon de Uvalde.
Pour la Nouvelle-Espagne, s’en suit une période de calme relatif. Seuls quelques raids sur des troupeaux isolés sont signalés. Les Comanches sont désormais assez éloignés au nord et les apaches Lipan, installés sur l’embouchure du Rio Grande, semblent désormais pacifiés. Cela ne dure pas car, après les Comanches, les apaches vont devoir faire face à un nouvel envahisseur indien. Originaires de l’Illinois, les Kickapoo, une tribu indienne de souche Algonquin qui s’était vu promettre en 1775 des terres dans la région du Rio Grande, s’y installe vers 1810. La cohabitation se passe très mal alors qu’une nouvelle épidémie de petite vérole fait des ravages parmi le peuple Lipan. En plus de cela, il faut ajouter l’augmentation du nombre des colons américains, arrivés tout d’abord par petits groupes, puis par centaines. Ce qui n’arrange pas non plus les choses. Finalement, sous la pression des guerres intertribales et de la maladie, les apaches Lipan quittent le golfe du Rio Grande pour migrer vers le nord-ouest. Ils se séparent en deux grands groupes. Le premier groupe s’établit dans la région de Coahuila de Zaragoza, au sud du Rio Grande. Le deuxième progresse encore plus vers l’ouest et atteint le sud des monts Guadalupe où ils s’assimileront progressivement aux apaches Mescalero.
LES APACHES ET L’EMANCIPATION DU TEXAS
Quand, en 1812, une insurrection antiespagnole explose au Texas, menée par l’indépendantiste mexicain Bernardo Gutierez de Lara. Les apaches Lipan, croyant peut-être obtenir plus de liberté avec l’émancipation du Texas, prennent parti pour les rebelles. Le 18 aout 1813, ils sont de la défaite de Medina, qui met fin à la courte indépendance du Texas. S’en suit une forte répression qui touche les rebelles espagnols mais aussi les nombreux métis, désignés sous le nom de Tujanos.
Au printemps 1821, le gouvernement espagnol garantit à Moses Austin, un colon de nationalité espagnole mais d’origine américaine, représentant légal des colons venus des Etats-Unis, un droit d’installation dans les vallées des rivières Brazos et Colorado. Quelques années plus tard, quand le Mexique devient un état indépendant (le 27 septembre 1821), le nouveau gouvernement du général Agustin de Iturbide (futur roi Augustin 1er) accorde les mêmes privilèges au fils de Moses Austin, Stephen F. Austin.
Plus les « riches » colons américains pénètrent dans l’intérieur du Texas, plus leurs convois de biens et de marchandises attirent l’attention des indiens. Raids et rackets deviennent des événements de plus en plus fréquents. En réaction, les colons se regroupent et, bientôt, les escarmouches se transforment en affrontements sanglants. Pour répondre aux nombreuses plaintes, le gouverneur mexicain de San Antonio autorise aux colons la levée d’une milice locale. Le 5 mai 1823 est créée la première compagnie d’une milice montée qui deviendra les Texas Rangers. Pendant 13 ans, Indiens et colons texans vont s’affronter alors que dans le même temps, les relations avec les autorités mexicaines vont se dégrader.
Durant la deuxième guerre d’indépendance du Texas (1835-1836), les Texas Rangers se voient confier la sécurisation de la frontière indienne laissant à la jeune armée texane la tache de combattre les Mexicains du généralissime dictateur Santa Anna. Les indiens n’interviennent guère dans ce conflit, qui ne les intéresse probablement que très peu. Le seul cas de collaboration bien connu se produit durant le siège d’Alamo (23 février-6 mars 1836). Là, des apaches Lipan proposent leur aide aux Texans, mais on sait que c’est plus par solidarité envers les défenseurs Tujanos que par respect pour les Texans américains ou les volontaires de Bowie et Crockett. Une fois la guerre terminée et l’indépendance du Texas reconnue (traité de Velasco, le 14 mai 1836), les Texas Rangers continueront de protéger la frontière, parfois en qualité de minutemen, parfois en intégrant des unités de milices.
LES TEXANS FACE AUX COMANCHES
Si les Comanches se sont montrés assez discrets durant toute la guerre d’indépendance, le départ des mexicains voit leur retour au premier plan. Malgré les efforts de conciliation du président Sam Houston, des désaccords subsistent et empêchent toute avancée, notamment celui portant sur la reconnaissance officielle de la Comancheria, territoire revendiqué par les chefs comanches. Les embuscades et les raids reprennent. L’un d’eux est le plus dramatique qu’ait connu le Texas depuis sa colonisation. L’action se situe à fort Parker, dans la région centre-est du Texas, à la lisière des grandes plaines. Dans ce petit fort en palissades vit alors une petite communauté religieuse de 21 adultes et 13 enfants, sous l’autorité du révérend James W. Parker. Le 19 mai 1836, alors que la plupart des hommes travaillent au champ et que la porte du fort est ouverte, une troupe d’environ 500 comanches et alliés, tenant un drapeau de paix, est signalée. Arrivés à proximité du fort, les indiens jettent le drapeau, poussent leurs cris de guerre et se ruent à l’intérieur pour se livrer au pillage. Cinq personnes sont tuées, et cinq autres sont kidnappées. Un peu plus tard, les captifs seront libérés contre rançons, excepté la nièce de Parker, Cynthia Ann, et son neveu, John. Les deux sont encore des enfants au moment du rapt. John sera élevé comme un guerrier. Probablement déplacé au Mexique, il ne sera jamais retrouvé. Cynthia Ann sera retrouvée en 1860, après 24 ans de captivité. Agée de 33 ans, elle n’aura que de brefs souvenirs de son ancienne vie. Cynthia Ann est la mère de Quanah Parker, l’un des plus célèbres chefs ayant animé la grande guerre comanche.
L’attaque de fort Parker inaugure une série de raids qui durera jusqu’à la fin de la décade. Au cours de cette période, les Comanches détruisent les fermes et les ranchs isolés, et entrainent en captivité un grand nombre de femmes et d’enfants. Cependant, en 1840, les Comanches semblent prêts à accepter de signer un traité de paix, avec comme condition la reconnaissance de la Comancheria par la république du Texas. Le gouvernement texan répond qu’il est disposé à accepter cette condition si les Comanches acceptent de délivrer tous les captifs. Le 19 mars 1840, une délégation comanche arrive à San Antonio, mais avec une seule captive âgée de 15 ans, Matilda Lockhart. L’adolescente porte d’horribles cicatrices, stigmates de deux années de torture. A sa vue, les soldats présents pour assurer la sécurité et la population de San Antonio deviennent nerveux. Les vingt chefs sont reçus dans la vieille demeure occupée autrefois par le gouvernement espagnol, alors que le reste de la délégation doit attendre dans la cour, sous la bonne garde des deux compagnies du colonel Fisher. Une discussion avec Mathilda Lockhart avise les Texans que les Comanches sont disposés à libérer un ou deux captifs à la fois, en échange de rançons, mais que c’est compliqué car les captives sont dispersées dans différentes tribus. Mathilda Lockhart laisse entendre que les Comanches mentent. L’armée encercle alors la salle du Conseil et les commissionnaires annoncent aux indiens qu’ils seront retenus en otage jusqu’à ce que les captifs soient libérés. Les chefs saisissent alors leurs armes cachées sous leurs manteaux. L’un d’eux tue une sentinelle, la troupe ouvre le feu. A la fin du combat qui s’est poursuivi jusque dans les rues de San Antonio, 30 chefs et guerriers ont été tués, ainsi que trois femmes et deux enfants. 27 femmes et enfants, ainsi que deux anciens, sont faits prisonniers. L’une d’entre elles est libérée pour aller avertir les comanches du clan Penateka que les prisonniers ne seront libérés qu’en l’échange de tous les captifs – ce qui sera fait le 30 avril 1840. De l’autre côté, on dénombre sept soldats et civils morts, ainsi que 8 blessés.
Pendant des mois, les Comanches et leurs alliés Kiowa rompent leurs contacts avec les autorités texanes et multiplient les raids, encouragés par les agents mexicains. Les 6 et 8 aout 1840, dirigés par le chef Buffalo Hump, entre 600 et 1000 Comanches Penateka et leurs alliés Kiowa, après avoir semés la terreur sur leur passage, attaquent la bourgade de Victoria – où ils volent près de 1500 chevaux – puis le petit port de Linnville. A Linnville, quelques habitants sont tués ou capturés mais la plus grande partie de la population parvient à trouver refuge sur un vapeur qui était ancré dans le port. De là, ils assistent à un spectacle hallucinant où des hordes d’indiens ivres de vengeance (de fortement alcoolisés) mettent la ville à sac avant de l’incendier totalement. Les indiens abandonnent la ville en ruine à la nuit tombée.
Le 12 aout, à Plum Creek, une troupe commandée par le général Felix Huston, composée de troupes régulières et de Texas Rangers, guidée par des éclaireurs Tonkawa, surprennent les indiens, qui portent alors sur eux les fruits de leurs pillages. Après quelques salves, sous les conseils du célèbre capitaine Ben McCullock, le général Huston ordonne aux hommes de remonter en selle et de charger les indiens. Surpris, les Comanches et leurs alliés se dispersent. La bataille devient une série d’affrontements épars et confus. Les Comanches finissent par s’enfuir, non sans avoir auparavant exécuté quelques-unes de leurs captives. Les pertes des Texans, un mort et sept blessés sont minimes. Cette bataille fut la première livrée par un jeune Texas Ranger, Jack Hays. Quatre ans plus tard, le 8 juin 1844, celui-ci, en compagnie de quelques compagnons, mettra en déroute une bande de Comanches. Confrontés pour la première fois à l’efficacité des revolvers à cinq coups, ils abandonneront trente morts et blessés derrière eux.
Le 19 février 1846, le Texas rejoint les Etats-Unis d’Amérique. Une annexion qui impose au gouvernement fédéral le devoir de protéger les Texans contre les Indiens des plaines.
L’US ARMY FACE AUX COMANCHES
Les premiers affrontements sérieux entre l’US Army et les Comanches se produisent alors que les américains sont engagés dans une guerre contre le Mexique. L’US Army a déployé des forces le long du Rio Grande en précision d’une offensive en territoire mexicain quand, le 22 juillet 1846, ils sont avertis par un témoin qu’une bande d’indiens avait attaqué des ranchs et kidnappé des femmes et du bétail après avoir tué les hommes. Les indiens se dirigent désormais vers un camp de Texas Rangers, à environ cinq kilomètres de la petit ville de Camargo.
Un détachement de Rangers, sous le commandement du capitaine Ben McCulloch passe plusieurs jours à traquer les indiens, sans parvenir à la surprendre. Pendant ce temps, les indiens continuent leurs déprédations dans les ranchs de la région. Il faut noter que les postes militaires du Texas, construit après la guerre américano-mexicaine, étaient inutiles contre les indiens car ils étaient principalement occupés par des garnisons d’infanterie. L’augmentation des déprédations amène le gouvernement texan, en 1848, à augmenter les effectifs de rangers. Le gouvernement de l’état ayant rapidement épuisé son budget, le gouvernement fédéral accepte de couvrir les dépenses. En échange, les Texas Rangers sont désormais mobilisables pour servir, si nécessaire, dans l’US army.
En 1853, des envoyés du gouvernement fédéral rencontrent les chefs des principales tribus des Plaines du Sud à fort Atkinson, au Kansas, pour une mission de négociation. Le gouvernement insiste sur son droit d’établir des routes et des postes militaires dans les territoires indiens et demande la restitution des captives. En échange, les indiens recevront 18,000$ d’annuités pendant 10 ans, avec une option de reconduction pour 5 ans. Les Indiens acceptent le principe des routes et des postes mais ne veulent pas entendre parler de la restitution des captives. Finalement, le gouvernement obtient la promesse d’une cessation des raids, des pillages et de rapts. Il n’est cependant pas dans l’intention des indiens d’honorer cette promesse, ni de rendre les captives, et il ne faut pas attendre un an pour qu’ils trahissent toutes leurs promesses.
Bien que les indiens sévissent sur toute la frontière texane, les plus importants déprédations se produisent sur la frontière nord-ouest, le long de la rivière Brazos et de la rivière Trinity. Afin de sédentariser les indiens, le gouvernement fédéral fait construire deux réserves dans la région, près des postes militaires de fort Belknap et Camp Cooper. Bien que les indiens des réserves (des tribus Caddo, Shawnee, Anadarko, Waco, Tawacano et Tonkawa pour la réserve de Brazos River et comanches Penateka pour la réserve Comanche)) soient pacifiques, ces « propriétés privées » servent aussi de caches pour les indiens hostiles, comme la bande comanche du chef Peta Nocona (l’époux de Cynthia Ann Parker, tué le 18 décembre 1860 à la bataille de Pease River). Les colons n’arrivent pas à faire la différence entre les indiens et ont tendance à s’en prendre à tous ceux qu’ils rencontrent. En juillet 1859, une troupe de soldats de fort Belknap, commandée par le major Robert S. Neighbors, agent des affaires indiennes et fervent défenseur des droits des comanches, doit intervenir pour arrêter une foule de colons qui se dirige vers la réserve pour y massacrer les occupants. Comprenant que la situation est devenue intenable, Neighbors ordonne l’évacuation de la réserve. Sous la bonne protection de quatre compagnies de soldats, 1240 indiens sont déplacés dans les territoires indiens, à 12 miles à l’ouest, sur le bord de la rivière Wichita, près de fort Cobb. Le 14 septembre 1859, de retour à Belknap, Neighbors est tué d’une balle dans le dos par Edward Cornett, un colon mécontent. Tout cela entraîne des raids de représailles, auxquels participent certains Comanches de la réserve de Camp Cooper. Finalement, en 1859, l’état ferme les Réserves et relocalise les tribus dans les Territoires Indiens. Cela n’empêchera pas, toutefois, la multiplication des raids.