Ce n’est pas sans une certaine impatience que je me suis procuré le deuxième tome d’Aleria 1975, bande dessinée consacrée à conter l’un des faits majeurs de l’histoire contemporaine de la Corse. Après un excellent premier opus qui mettait les principaux protagonistes en situation, les auteurs – le scénariste Frédéric Bertocchini et le dessinateur Michel Espinosa – nous exposent dans cet album de 46 planches les enchaînements de circonstances qui ont entraîné la mort de deux gendarmes mobiles.
Pour ce qui est de la conception, l’essentiel a été dit dans ma chronique sur le premier tome. En effet, ce nouvel opus s’inscrit dans la continuité avec, notamment, une construction basée sur des témoignages nationalistes mais qui évite prudemment, une nouvelle fois, toute prise de position inconsidérée. Ainsi, même si le style narratif nous invite dans le proche entourage d’Edmond Simeoni, Fréderic Bertocchini se garde bien de faire dans le parti pris. Au contraire, le récit met en évidence les failles de cette entreprise digne mais organisée et exécutée sans réelle réflexion (on pourrait même parler de naïveté idéaliste), et nous entraîne, justement, à réfléchir sur l’existence et les conséquences de cette action militante et d’un dérapage, certes dramatique, mais qui alluma une étincelle identitaire dans l’esprit de bon nombre de Corses. Ne dit-on pas « on ne fait pas une omelette sans casser des œufs? Evidemment, l’expression, dans ces conditions, peut prêter à polémique, voire choquer. Une cause politique, quelle qu’elle soit, vaut-elle la vie d’un homme? C’est au lecteur de se faire son opinion.
Même pudeur dans le traitement graphique de Michel Espinosa, sobre et efficace. Au final, si le cherchant sort comblé de sa lecture de Dernière sommation !, le vulgaire amateur de scènes d’action pourrait en avoir pour ses frais (même si, à une ou deux occasions, le récit s’emballe un peu). J’ai apprécié cette retenue. L’assaut des gendarmes mobiles est retranscrit avec sobriété, le dessinateur se penchant à faire dans l’informatif plus que dans le sensationnel. Sincèrement, on ne peut que l’en féliciter, le lecteur ne se voit ainsi pas distrait par le spectaculaire artificiel et peut rester concentrer sur l’essentiel, riche en échanges et en revendications, et qui se résume en ces mots : l’histoire extraordinaire d’un groupe d’hommes qui ne cherchaient qu’à se faire entendre.
Le planche finale, qui voit des véhicules semi-blindés investir la place de Bastia, nous laisse à nos réflexions…
Ma note : 4/5
Aleria, tome 2 : dernière sommation !
Scénario de Frederic Bertocchini
Dessin de Michel Espinosa
Couleur de Nuria Sayago
Paru aux éditions DCL (avril 2015)